Historique et description
Le psychodrame-Balint est une des méthodes de formation psychologique des soignants qui allie deux approches qui tiennent compte de la dimension inconsciente inhérente à toute relation intersubjective,
– celle du groupe Balint telle que Michaël Balint l’a développée à la Tavistock Clinic de Londres avec des médecins généralistes, et
– celle du psychodrame psychanalytique, en particulier dans la forme mise au point dans le cadre de la SEPT (Société d’études du psychodrame thérapeutique et théorique), à Paris.
Poursuivant un travail commencé avec Guy-Claude Bruère-Dawson, Anne Caïn, psychanalyste et psychodramatiste marseillaise, a commencé à appliquer le jeu psychodramatique à Paris, en 1973 dans le groupe Balint de Charles Brisset, qui l’avait sollicitée pour sortir d’une situation stagnante. Ce désir « d’une relance pulsionnelle grâce à une technique qui remette les choses en mouvement en revivant les situations au sens d’une mobilisation des affects » (A. Caïn, en 1994) inaugure la méthode et se retrouvera très souvent dans ces moments de passage d’une approche de groupe Balint classique au psychodrame-Balint, mais aussi dans des groupes où la demande didactique faite aux animateurs est spécialement pressante.
Le passage d’une forme à l’autre est résumé par le " Ne racontez pas, jouez ! " de l’animateur, formule qui ponctue souvent le cours d’une séance et engage le soignant présentateur d’un cas clinique, à retrouver, dans le jeu, des moments de sa relation avec le patient.
Le psychodrame-Balint se distingue du jeu de rôle, technique issue du travail de Moreno (1892-1974), qui fut l’inventeur du psychodrame. Dans le psychodrame des situations réelles sont jouées alors que dans le jeu de rôle des scénarios prêts à l’avance, ou construits avec l’aide de tous les participants et mettant en scène des situations générales sont représentés.
Les retrouvailles avec une scène professionnelle réelle et avec une reconstitution, dont l’exactitude n’est en fait qu’apparente, vont permettre que le travail de mise en question du soignant et de prise de conscience des manifestations transférentielles et contre-transférentielles, spécifique de la démarche instaurée par Michaël Balint, se déroule selon une dynamique nouvelle. Ainsi le psychodrame-Balint n’est pas une situation éducative mais va permettre aux soignants d’ « appréhender avec plus d’efficacité le sens » des situations professionnelles qui leur posent problèmes et qu’ils ont été amenés à rejouer et à les « revivre au plus près de leurs actes « . Comme le psychodrame psychanalytique il ne vise pas une rationalisation secondaire des expériences vécues, ni l’acquisition de contrôle, encore moins la décharge cathartique, mais la prise de conscience d’aspects inconscients jusqu’alors refoulés, et, avec les associations des membres du groupe et les interventions de l’animateur, leur début d’élaboration.
Anne Caïn (textes de 1989 et 1994) a proposé d’appeler discours les quatre phases d’une séance, habituellement d’une durée d’une heure et demie. Le premier discours commence lorsque le groupe se réunit en cercle et qu’après des échanges parfois banaux une demande émerge ou est sollicitée par l’animateur. Le deuxième discours est marqué par la mise en place du jeu à partir du récit du présentateur de cas. L’animateur, en lui proposant de retrouver le vécu des instants évoqués, sollicite la mise en jeu du corps du soignant. Ce deuxième discours est aussi une ébauche de rapports du soignant avec le cadre. Lors du troisième discours « l’épreuve du jeu permet au texte enfoui de prendre sens » et par associations entraîne d’autres jeux. Le quatrième discours dans l’échange du protagoniste et de l’animateur avec tout le groupe « permet d’assumer la révélation de l’inattendu ». Il est à noter que de nombreux groupes travaillent avec deux animateurs dont l’un a pendant la séance le rôle d’observateur.
La technique du psychodrame-Balint
Le psychodrame-Balint a recours à un certain nombre de techniques propres au psychodrame psychanalytique, tout en en écartant d’autres dans la mesure où elles viendraient contrecarrer la règle stricte du travail de groupe dans l’esprit Balint : n’interroger que la sphère professionnelle de l’activité et de l’identité du soignant.
Le décor et la construction du cadre imaginaire : Une attention particulière et spécifique au psychodrame-Balint est donnée à la description du cadre dans lequel va se dérouler la scène : cabinet de consultation, chambre ou couloir d’hôpital, domicile du patient. Certains éléments ou caractéristiques du décor laissent des souvenir très vifs chez le protagoniste et sont susceptibles de devenir, au cours du jeu, des révélateurs de la relation du soignant avec le cadre dans lequel il travaille, des distances qu’il aménage avec son patient (voire avec ses collègues), de l’intimité préservée ou non de la relation thérapeutique. Des objets acquièrent ainsi une fonction symbolique, devenant lieux de condensation et de déplacement d’aspects de la problématique abordée. Ils entrent aussi parfois dans une aire de partage et d’échange entre le soignant et son patient.
Le décor figuré par l’utilisation de quelques chaises acquiert rapidement au cours du jeu une dimension imaginaire et symbolique qui sert de support aux associations de tous les participants et de l’animateur.
Le doublage et les dédoublements : Le psychodrame psychanalytique a recours à différentes formes de dédoublement : le double dialoguant, le double en miroir total ou partiel et le double par derrière et à côté. C’est ce dernier type de doublage et pratiquement lui seul qui est communément utilisé en psychodrame-Balint : les participants du groupe et plus rarement l’animateur, vont venir, en voix off, exprimer des pensées et des fantasmes non seulement du soignant mais aussi du patient ou d’autres protagonistes de la scène. Si le recours au doublage est variable en fonction des situations et du degré d’évolution du travail du groupe il favorise les associations fantasmatiques tant pour le soignant que pour le groupe et peut avoir une réelle fonction interprétative. A la fin du jeu l’animateur demandera à chaque participant ayant doublé de commenter son doublage, permettant ainsi d’expliciter non seulement sa compréhension personnelle de la situation jouée mais aussi ses mouvements d’identification.
L’inversion de rôle : Elle est extrêmement fréquente au cours du jeu afin de retrouver au plus près non seulement les paroles du patient mais aussi pour décrire son langage corporel. Si elle est parfois vécue comme difficile, voire contraignante, tant pour le protagoniste que pour les acteurs, l’inversion de rôle devient au fil du travail en groupe une action souvent proposée spontanément par le protagoniste. Le changement de rôle va permettre au soignant de se voir dans le jeu de l’autre, d’être confronté à des décalages, qui pour lui comme pour tout le groupe peuvent être révélateurs (incapacité à se mettre dans le rôle de tel patient en particulier, émergence de lapsus, etc.).
Les difficultés liées à ces changements de rôle, souvent attribuées par les participants à leur inexpérience de la méthode, peuvent être aussi le reflet de la problématique jouée.
Le soliloque : Par ce procédé souvent utilisé au début d’une scène, le soignant est sollicité à faire part des pensées qui l’animent avant de rencontrer son interlocuteur, habituellement le patient. Les soliloques servent aussi de transition entre différentes scènes, ponctuent le jeu à la demande de l’animateur. Ils sont encore des réponses à des doublages, dans l’acceptation ou le refus des pensées, affects, fantasmes qui ont été proposés par les participants.
Le corps et le psychodrame-Balint
La réintroduction du corps dans le discours du soignant marque l’originalité du psychodrame-Balint, originalité qui n’a été pleinement comprise qu’après coup mais qui répondait à une des préoccupations de Michaël et Enid Balint. Selon Michel Sapir (1982) les Balint étaient persuadés qu’un des dangers de la dénaturation de la méthode balintienne résiderait dans l’évitement du corps au profit de la relation. Un certain nombre de remarques quant à la place du corps dans cette méthode recoupe celles qui peuvent être faites quant à la pratique du psychodrame psychanalytique. La mobilisation du corps a pour effet de permettre une levée du refoulement, de favoriser la réémergence d’une mémoire motrice qui a été enfouie et avec elle celle des affects (Amar, 1988). Le psychodrame psychanalytique redonne ainsi toute son importance au rôle des affects et ceci d’autant plus que toute représentation n’est pas entièrement transférable par la parole (Green, 1984). Mais c’est à une parole reliée à des fonctions corporelles que revient le rôle de liaison entre les affects émergeants et les représentations. L’implication corporelle personnelle de l’animateur, et des autres participants sollicités pour jouer différents rôles, a pour effet de diminuer l’angoisse liée à la mobilisation du voir et du faire voir, inhérente à la méthode et à atténuer les craintes d’intrusion.
Si les mécanismes sont les mêmes dans le psychodrame psychanalytique et dans le psychodrame-Balint l’intensité de la mobilisation des affects est souvent différente : elle reste souvent relativement contrôlée dans le psychodrame-Balint, en raison du caractère professionnel de la démarche, sans toutefois être l’objet de maîtrise. Malgré le respect du faire-semblant, le jeu permet, dans la réactualisation de la relation, la mise en évidence de particularités des réponses corporelles du soignant (son contre-transfert corporel) : l’évitement d’un regard, des mains qui n’arrivent jamais à se rencontrer au moment des salutations par exemple. Une certaine forme de censure est à l’oeuvre et concerne l’expression même du vécu corporel du soignant aussi bien que des phénomènes d’identification première et corporelle au patient et à ses symptômes.
Le groupe, la place de l’animateur, le rôle des participants
Si Anne Caïn s’est toujours montrée très attentive aux réactions du groupe et en particulier à la relation transférentielle des membres d’un groupe à son égard, elle s’est toutefois toujours refusé à voir le groupe de psychodrame-Balint comme un tout fait de projections et de réorganisations subjectives des participants. Pour elle « le groupe en tant qu’unité est constitué par autant de discours propres à chacun et c’est de cette multiplicité de paroles que naît l’échange » (1994, p31). Dans le travail de groupe « le jeu est le moment fertile dans la mesure où tous les participants s’identifient entre eux, dans un mouvement auquel se mêle aussi la dynamique du transfert ». Cette conception du groupe est dont très éloignée tant de celle développée par Gosling et Turquet (1982), qui ont les idées de Bion et de la dynamique de groupe au Balint, que de celles de Didier Anzieu (1982) et de son école. L’intérêt d’A. Caïn porté « uniquement sur l’individu dans le groupe et non pas sur le groupe lui-même » a d’évidentes répercussions sur la technique utilisée dans l’animation de la séance et sur sa conception de la place de l’animateur. Les interventions et les interprétations de l’animateur, telles qu’elles sont préconisées, s’adressent au protagoniste et jamais à tout le groupe et doivent, bien entendu, être faites avec prudence.
Tout en poursuivant cette approche il nous a toutefois semblé que l’attention portée à la dynamique de groupe, et sa compréhension par l’animateur (et l’observateur) sont complémentaires. Cette prise de conscience par l’animateur va l’influencer dans le choix des scènes qu’il proposera de jouer, dans la conduite même des jeux, sans qu’elle débouche pour autant sur des interprétations groupales.
Le psychodrame-Balint, comme toute entreprise de formation qui favorise une remise en question de soi, suscite un certain nombre de résistances et ceci d’autant plus qu’elle implique le soignant dans son contre-transfert, dans son expérience corporelle et émotionnelle. Si son efficacité et son intérêt sont de plus en plus reconnus (voir l’évaluation de la formation Balint et les résultats d’une enquête) cette méthode se doit de rester l’objet de recherches tant sur l’approfondissement de sa théorie que sur la clinique des groupes.