Repères pédagogiques

À l’attention des enseignants-animateurs de groupes de type Balint en Faculté de Médecine

Rédigé par le groupe d’enseignants en faculté de médecine issu des associations AFB, AIPB, SMB (voir "Associations proches" en bas de page)

Avec le soutien du secteur pédagogie du CNGE (Collège National des Généralistes Enseignants)

Préambule

Le travail en groupe sur des cas cliniques est l’un des dispositifs pédagogiques utilisés pour la formation à la relation des étudiants en médecine. Se présentant sous plusieurs dénominations (groupes balint, groupes de formation à la relation thérapeutique , groupes de paroles, groupes de réflexion clinique, groupes d’analyse de pratiques, groupes d’accompagnement de l’interne, etc.), ces dispositifs de formation partagent le fait d’être issus du modèle de travail sur des situations professionnelles mis en place par M.Balint, tout en se différenciant du modèle original des groupes Balint en fonction du contexte de chaque faculté (année d’étude, taille des groupes, durée et fréquence des rencontres, formation des animateurs, …).
Puisque référence à Balint il y a, il nous est apparu utile de préciser quelques-unes des modalités d’un travail de groupe utilisant cette méthode.
L’objectif de ce type de formation est d’aider le futur praticien à prendre en compte les données psychologiques et relationnelles présentes chez le patient, et le médecin dans l’exercice de son métier, notamment la place des émotions, représentations, projections, identifications, croyances et éléments inconscients .
Ce texte présente sept éléments de base pour l’animation de ce type de groupe. En préambule, il nous paraît important de souligner que les qualités requises pour animer de tels groupes ne s’acquièrent pas par la seule lecture de textes et encore moins des quelques repères que nous présentons. Une formation dédiée à l’animation des groupes Balint est proposée par chacune de sociétés savantes balintiennes citées.

Sept repères pour l’animation des groupes se référant à la méthode Balint

1- Poser le cadre du dispositif de formation
2- Chaque séance s’organise autour de cas cliniques vécus, apportés par les étudiants à partir des situations qu’ils ont personnellement rencontrées dans les stages.
3- Le travail de groupe se fonde sur l’association d’idées et l’expression de la pluralité des ressentis.
4- Le contraste entre les positions des divers participants et l’expression de la différence des points de vue est le moteur du travail de groupe.
5- Le rôle de l’enseignant-animateur est de favoriser « une atmosphère propice aux échanges » en se plaçant dans une attitude réceptive, d’accueil et de contenance.
6- L’enseignant-animateur est attentif à repérer ses propres a priori.
7- Ce qui se passe dans le groupe est à considérer du point de vue de la dynamique inconsciente et groupale.
1- Poser le cadre du dispositif de formation

Modalités pratiques :
 Etudiants et animateur(s) sont assis en cercle, sans interposition de tables, téléphones portables éteints, les enseignants-animateurs étant situés face à face quand ils sont deux
 La présentation des cas est libre et volontaire
 Celle ou celui qui présente le cas le fait sans notes. Les enseignants et les autres participants n’en prennent pas
 Suite à la question « qui a une situation à présenter » qui lance la séance, un étudiant expose un cas, puis les autres membres du groupe interviennent par questions, remarques et association d’idées.

Trois règles sont à énoncer et à expliquer
 La règle de l’anonymat (on ne cite pas le nom de famille des patients dont on va être amené à parler ni des soignants dont il peut être question) et de la confidentialité (les propos d’un étudiant ne doivent pas être associés à son nom au dehors du groupe) (ce qui est dit dans le groupe reste dans le groupe).
 Le groupe travaille sur la pratique professionnelle et n’explore pas l’espace privé. Les échanges portent exclusivement sur le domaine professionnel et la « personnalité professionnelle » du soignant, sans aborder ce qui se rapporte à l’histoire personnelle et familiale de chacun. Les animateurs ne font pas d’interventions concernant l’espace privé et veillent à ce que les étudiants ne se situent pas sur ce plan.
 Une suspension du jugement de valeur immédiat au profit d’une attitude d’écoute et d’accueil de la parole de chacun est demandée.

Les enseignants-animateurs sont les garants de ce cadre de travail dont les autres éléments sont, le respect des horaires de début et fin de séance, la régularité des présences, le fait d’écouter les interventions de chacun.e et de les considérer comme une contribution au travail du groupe. Si un ou des observateurs (enseignants- animateurs en formation) sont présents, ceux-ci observent les mêmes règles. Leur place et leur fonction sont précisées par les enseignants lors de la première séance de travail du groupe.

Au cours de la première séance, il est nécessaire d’annoncer aux étudiants que :
 l’évaluation/validation de ce temps de travail ne se fait pas sur le contenu des prises de parole en groupe mais sur la présence (à laquelle pourra ou non s’ajouter un devoir écrit secondairement).
 dans ce type de travail de groupe, il peut y avoir des silences, ceux-ci participent à la réflexion et à la dynamique du groupe.

2-Chaque séance s’organise autour de cas cliniques vécus, apportés par les étudiants à partir des situations qu’ils ont personnellement rencontrées dans les stages.

La narration d’une situation devant d’autres par celui qui l’a vécu est au centre de ce dispositif de travail. Il a pour intérêt :
  De permettre de rester proche des questions ou problèmes rencontrés par les étudiants.
  De mobiliser l’implication et l’émotion suscitées par la narration d’un cas vécu devant d’autres. Le partage avec le groupe de cette implication subjective et la résonnance qui s’instaure entre les participants autour du cas suscitent une mobilisation psychique, avec des effets de transformation sur la façon dont chacun voit le patient et sa position face à la situation.

Notes pour la pratique.

⇨ Dans une séance, il arrive assez régulièrement que le groupe s’éloigne de la situation présentée pour discuter d’une question générale ou parler d’un autre cas. Ces digressions peuvent être utiles en tant qu’associations libres contribuant au travail sur le cas. Elles peuvent aussi en éloigner, versant dans le débat d’idée et/ou s’intégrant dans un processus défensif par rapport à une difficulté émotionnelle suscitée par la situation. Sur le plan pratique, il apparaît souvent nécessaire, après avoir permis à ces digressions de s’exprimer et perçu comment elles se raccordent au travail en cours, que les animateurs recentrent le travail sur le cas.
⇨ Dans le même ordre d’idée, si les enseignants peuvent parfois être amenés à évoquer une notion ou un concept que le cas illustre, il apparaît important qu’ils n’entrent pas dans des développements théoriques approfondis, mais restent centrés sur l’animation du groupe à partir de la situation présentée.

3- Le travail de groupe se fonde sur l’association d’idées et l’expression d’une pluralité de ressentis.

« Dès le début nous désirions que le rapport fait par un médecin [étudiant] tienne le plus grand compte de ses réactions émotionnelles en face de son malade, ou même de son implication possible dans les problèmes de son malade. Un compte rendu fidèle de cet aspect émotionnel de la relation médecin-malade ne peut s’obtenir que dans une atmosphère assez libre pour que le médecin [l’étudiant] soit capable de parler avec spontanéité » .
Balint insiste sur l’importance de s’accorder le « droit à la bêtise » comme l’un des éléments essentiels à la qualité de ce type de travail. Ici, les images qui viennent en tête, les fantaisies, les « bêtises », sont, comme les associations d’idées, à considérer comme des manifestations possibles des mouvements inconscients suscités par le cas et pouvant l’éclairer. Pour permettre que cette atmosphère se mette en place et aux libres associations de s’exprimer, une suspension des jugements de valeur immédiats au profit d’une attitude d’écoute (cf. règle n°3) est nécessaire.

Notes pour la pratique

=> Pour laisser la place à la libre association et aux émotions qui les accompagnent, le narrateur du cas intervient « sans note ». Les autres participants, les animateurs et les observateurs n’en prennent pas non plus pendant la séance de travail du groupe .
=> Concernant les étudiants qui ne parlent pas du tout. Si la préoccupation de ce type de travail n’est pas que tout le monde parle obligatoirement, il convient cependant de repérer un étudiant qui s’exclut du groupe pour tenter de l’y réintégrer. Cette intervention des enseignants-animateurs est particulièrement nécessaire si un étudiant apparaît en difficulté dans le groupe ou si sa position de retrait gêne le groupe dans son fonctionnement .
=> Les animateurs doivent veiller à ce que le présentateur du cas ne prenne pas toute la place et à ce que le groupe ne rentre pas trop dans le système questions/réponses qui contrarie l’élaboration. Il est bon que les animateurs permettent au présentateur du cas de « respirer », de se poser, de ressentir, de penser.

4- Le contraste entre les positions des divers participants et l’expression de la différence des points de vue est le moteur du travail de groupe.

La place des enseignants-animateurs dans ce type de travail de groupe consiste à favoriser la prise de parole de chacun ainsi que l’expression de la différence et du contraste entre les points de vue des participants. Il s’agit de souligner les éléments qui semblent rassembler et ceux sur lesquels portent des différences d’appréciation et de faire réfléchir aux oppositions de réactions. Le rôle principal des enseignants-animateurs est ici de faciliter l’expression des perceptions différentes des participants, pas d’interpréter, d’apporter des éléments de savoir ou de faire preuve de leurs capacités d’analyse de la situation.

Note pour la pratique

⇨ Dans le système universitaire les étudiants bien souvent s’attendent à ce qu’une vérité unique débouchant sur une conduite à tenir applicable par tous émerge d’un travail en commun sur une situation clinique. Dans le cadre de la formation à la relation, l’enseignant doit veiller à maintenir ouverte l’interrogation et soutenir la pluralité des interprétations évoquées par le groupe plutôt que de privilégier une interprétation ou une vérité particulière (entrant souvent en résonnance avec la sienne).

5- Le rôle de l’enseignant-animateur est de favoriser « une atmosphère propice aux échanges » en se plaçant dans une attitude réceptive, d’accueil et de contenance.

La principale tâche d’un animateur dit Balint est de « créer un climat propice aux échanges ». … « Il faut une atmosphère émotionnelle libre et amicale pour qu’on puisse accepter de reconnaître qu’un comportement diffère souvent radicalement de celui qu’on voulait avoir et de ce qu’on a toujours cru fermement qu’il était » . Pour installer ce climat, il est nécessaire que les enseignants-animateurs sachent cheminer avec le groupe sans le devancer. Encore une fois, cela implique que les enseignants ne se placent pas dans une position professorale, ni de conseil de bonne attitude professionnelle, mais laissent aux étudiants le temps d’une élaboration et privilégient leurs découvertes à celles qu’ils pourraient être tentés de fournir. Pour donner une image de l’attitude des animateurs dans ce type de travail de groupe, on peut dire que leur position consiste à se situer « en creux » par rapport au contenu des échanges sur le cas, dans une fonction réceptive, d’accueil et de contenance des interventions des participants.

Notes pour la pratique
⇨ Une fois que l’étudiant a exposé son cas, les enseignants-animateurs doivent tout d’abord laisser le groupe y réagir comme il l’entend , c’est-à-dire ne pas orienter le travail du groupe mais au contraire tenter de voir ce que le groupe va avoir envie d’en faire.
⇨ Pour l’enseignant, être capable de « réserve » quant à l’expression de ses idées est très différent de sa position habituelle en faculté de médecine. L’objectif étant de favoriser le travail d’élaboration des étudiants plutôt que d’apporter des réponses/ connaissances et de privilégier leurs découvertes, de manière générale, les enseignants-animateurs doivent veiller à ne pas trop parler.
⇨ Par rapport aux cas présentés, l’enseignant gagnera à se considérer lui-même comme un co-chercheur, n’étant pas plus que les participants détenteur de la bonne manière de comprendre ou considérer les choses. S’il est conduit (rarement) à parler de son expérience, il devra veiller à ce que celle-ci n’apparaisse pas comme modèle mais s’intègre au travail du groupe.

6- L’enseignant-animateur est attentif à repérer ses propres a priori

« Chaque médecin, nous dit Balint, a une idée vague mais presque inébranlable du comportement que doit adopter un patient quand il est malade » . Et il est « sincèrement persuadé qu’une de ses réactions personnelles -c’est-à-dire une des réponses de son stock – est, soit la seule manière possible, soit la seule raisonnable, de traiter le problème en cause » (p 227). Cette somme d’a priori, de modèle et d’idéaux auxquels le praticien tente de convertir le patient entre dans ce que Balint nomme la « fonction apostolique du médecin ». Un des objectifs du groupe Balint est de les mettre à jour afin que le praticien puisse « ne pas les appliquer automatiquement et dans tous les cas » et s’ouvrir à d’autres possibilités d’intervention.
Dans son activité d’animateur, l’enseignant rencontre les mêmes phénomènes. Face à un cas présenté en groupe, il est, lui aussi, renvoyé à ce qu’il pense juste de faire (son idéal professionnel). Soumis à cette contrainte, à l’idée « presque inébranlable » de la manière dont il serait bon de réagir dans la situation, il va être tenté de convertir les étudiants à son point de vue. Autrement dit de les orienter vers une bonne conduite à tenir, médicale ou relationnelle. Or, ce faisant, il entrave le travail de réflexion, de recherche de solutions et d’élaboration du groupe. Repérer ce phénomène afin de limiter la contrainte qu’il exerce sur son animation est une tâche difficile mais importante dans la conduite de ce type de formation.

Note pour la pratique

⇨ Pour l’enseignant-animateur, s’interroger sur ses a priori tels qu’ils viennent s’exprimer dans le travail sur un cas donné devrait permettre d’en limiter l’impact dans le groupe. Ce repérage est difficile à réaliser seul. Il est facilité par une co-animation pour peu que celle-ci se donne cette tâche. Un travail entre enseignants portant sur le déroulement des séances, mérite d’y être consacré.

7- Ce qui se passe dans le groupe est à considérer du point de vue de la dynamique inconsciente et groupale.

Dans le travail sur un cas clinique, Balint nous dit que « quelle que soit la réaction du groupe, les émotions qui se produisent chez le rapporteur comme dans son auditoire doivent être acceptées et considérées comme des expressions de processus inconscients activés par le contenu du rapport » . Ainsi tout ce qui se dit ou se passe dans une séance - mutisme de certains, agressivité de l’un vis-à-vis d’un autre ou de l’animateur, conversations en aparté, sorties de téléphones portables, monopolisation de la parole, …, de même que les associations d’idées -, est à considérer dans son rapport au cas et aux processus inconscients suscités par le travail du groupe sur le cas. Il est aussi à noter que dans une séance de travail, la dynamique du groupe peut refléter ou reproduire « en miroir » la problématique du cas présenté, permettant ainsi d’en identifier un des aspects.

Face à cela, « Il est à peine exagéré de dire que s’il [l’animateur] trouve l’attitude correcte à adopter, il enseignera plus par son exemple que par toutes les autres méthodes combinées » . Dit autrement, dans une formation portant sur la relation c’est en grande partie par la manière dont l’animateur « écoute », c’est-à-dire la façon dont il entend, comprend, prend en compte et réagit aux paroles et réactions du groupe, que celui-ci transmet quelque chose qui va être utile aux étudiants participants.

Notes pour la pratique

⇨ Face aux diverses réactions des étudiants dans un groupe de travail sur la relation il nous semble que la démarche suivante peut être proposée :
 penser au sens que peuvent avoir ces manifestations groupales et ce qu’elles suscitent chez l’enseignant.
 chercher à intégrer ces manifestations groupales ainsi que la compréhension et les ressentis que l’enseignant-animateur en a dans la dynamique du groupe et/ou dans l’histoire du cas évoqué.
 décider comment l’animateur peut utiliser pour le travail du groupe ce qu’il a compris et ressenti (est-il opportun d’en transmettre quelque chose au groupe ou pas ? quand ? et sous quelle forme ?).

Nous vous souhaitons un bon travail de groupe.

Liste des rédacteurs :
Françoise Auger (Faculté de médecine Paris ), Alain Bardoux (Faculté de médecine Lille), Jacob Benarosch (Faculté de médecine Paris), Claire Noëlle Collardet (Faculté de médecine UPEC Créteil), Caroline Dauchez (Faculté de médecine UPEC Créteil, Faculté de médecine de Bobigny), Sylvain Emy (Faculté de médecine Paris ), Guy Even (Faculté de médecine UPEC Créteil), Marie Heyman (Faculté de médecine de Rennes), Philippe Jaury (Faculté de médecine Paris), Simone Ledru (Faculté de médecine Rennes), Joëlle Lehmann (Faculté de médecine Paris), Georges Lewkowicz (Faculté de médecine Paris), Christian Lepez (Faculté de médecine Paris), Isabelle Martinot (Faculté de médecine Angers), Isabelle Pendola-Luchel (Faculté de médecine Bicêtre et Paris Saclay), François Petregne (Faculté de médecine Bordeaux), Christian Pirolli (Faculté de médecine Paris), Michel Rochefort (Faculté de médecine UPEC Créteil Bicêtre, Paris), Marie-Odile Tessier (Faculté de médecine Rennes), Josiane Sabah (Faculté de médecine UPEC Créteil), Luc Steimer (Faculté médecine Toulouse), Catherine Vingtrinier (Faculté de médecine Paris).

Contacts AFB, Guy Even getg.even@wanadoo.fr
AIPB, Caroline Dauchez, caroline.dauchez@gmail.com
SMB, Françoise Auger, auger.francoise@free.fr

Responsables du secteur pédagogie du CNGE
Pr Christian Ghasarossian
Pr Laurence Compagnon
Dr Aurélie Janczewski